« Mamie Luger » : Une centenaire explosive !

Jusqu’au 1er novembre 2025, le Théâtre Essaïon à Paris, accueille une pépite noire et jubilatoire : Mamie Luger, un monologue tiré du roman de Benoît Philippon, porté à la scène avec une intelligence féroce et une sensibilité désarmante. Une pièce rare, à la croisée du polar, du manifeste féministe et du théâtre de l’absurde.

Une vieille dame, une mitraillette, une vie entière à déballer

Il suffit de quelques minutes pour que le ton soit donné. Berthe, 102 ans, en garde à vue, commence à raconter sa vie. Ce n’est pas une confession, c’est un inventaire à balles réelles. Face à un capitaine de gendarmerie médusé, cette petite vieille au regard acéré déroule un fil rouge sang : un siècle d’existence entre humiliations, violences conjugales, résistances et meurtres. Oui, Berthe a tué. Plusieurs fois. Mais au lieu de la juger, on l’écoute… et on la comprend.

L’énorme force du texte, adapté avec une rare fidélité et une précision chirurgicale par Antoine Herbez, c’est de ne jamais céder à la facilité. L’humour, souvent noir, sert de contrepoids à la violence du propos. La tendresse affleure là où on ne l’attend pas. Et Berthe, loin de la caricature de la mamie délurée, devient peu à peu une figure tragique et lumineuse, une justicière malgré elle, prise dans les rets d’un patriarcat aussi sournois qu’implacable.

Josiane Carle, une performance magistrale

Il fallait une comédienne de trempe pour incarner ce personnage hors norme, capable de faire rire aux éclats une salle entière avant de la glacer d’effroi ou de la tirer aux larmes. Josiane Carle est absolument magistrale. Elle habite Berthe avec une justesse bouleversante, sans jamais forcer le trait ni tomber dans la grandiloquence. Elle change de ton, de posture, de souffle avec une aisance déconcertante, rendant chaque anecdote de Berthe intensément vivante.

Avec une économie de moyens un décor sobre, presque nu, un fauteuil, quelques accessoires elle donne chair à une multitude de personnages, convoquant toute une galerie d’hommes, souvent brutaux, parfois grotesques, toujours marquants. Mais c’est surtout Berthe qu’elle incarne pleinement : une femme que le XXe siècle a broyée, mais qui n’a jamais cessé de lutter, avec ses armes à elle.

Une mise en scène sobre et puissante

Antoine Herbez, également metteur en scène, a eu l’intelligence de ne pas surcharger son dispositif. Tout repose sur le texte et le jeu. Quelques effets de lumière viennent ponctuer les transitions, souligner un basculement, un souvenir, une douleur enfouie. La musique, parcimonieuse, laisse le silence faire son œuvre. Et le rythme, parfaitement tenu, nous maintient en haleine jusqu’à la dernière réplique.

Le choix du Théâtre Essaïon, avec sa salle intimiste, participe aussi de la réussite du spectacle : ici, pas de distance entre Berthe et le public. Elle est là, presque à portée de main, comme une vieille tante un peu étrange qui nous raconterait sa vie au coin du feu… sauf que son feu à elle, c’est un fusil à lunette.

Une pièce profondément politique

« Mamie Luger » n’est pas seulement une réussite artistique, c’est aussi un acte politique. En donnant la parole à une vieille femme triple invisibilisée par l’âge, le genre et la marginalité, le spectacle s’inscrit pleinement dans une époque où la mémoire des luttes féminines et la dénonciation des violences faites aux femmes deviennent enfin centrales.

Mais là où beaucoup de discours contemporains se veulent didactiques ou moralisateurs, ici tout passe par la fiction, le grotesque, le rire, le choc. On ne sort pas indemne de cette rencontre avec Berthe. On rit, on tremble, on s’interroge. On la juge, puis on doute. Et surtout, on l’écoute. Ce simple geste écouter une femme âgée parler de ce qu’elle a traversé, de ce qu’elle a encaissé devient un geste de révolte.

En résumé :

🎭 Un seul en scène étourdissant, mêlant l’humour noir, la tendresse et la révolte.
🔥 Une performance d’actrice impressionnante par Josiane Carle, toute en nuances et en intensité.
🎯 Un propos fort, féministe et engagé, servi par une mise en scène sobre et précise.
📍 Un moment de théâtre rare, à découvrir de toute urgence au Théâtre Essaïon à Paris, jusqu’au 1er novembre 2025.