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Monter Marius aujourd’hui, c’est s’attaquer à une pièce mythique, première pierre de la célèbre trilogie de Marcel Pagnol. C’est aussi se confronter à un imaginaire populaire solidement ancré dans la mémoire collective : les rires tonitruants de César, la douceur de Fanny, l’inquiétude de Marius face à l’appel du large. Des images, presque des archétypes, que l’on croit connaître avant même d’entrer dans la salle. Mais la mise en scène de Jean-Philippe Daguerre au Théâtre Le Ranelagh parvient à redonner à ce matériau une fraîcheur insoupçonnée, en dépoussiérant les clichés pour mieux mettre en valeur l’humanité profonde des personnages.
Daguerre, couronné en 2025 de cinq Molières pour Du charbon dans les veines, prend le parti de décaler légèrement l’action, situant le récit dans le Marseille des années 1960. Ce choix, loin d’être anecdotique, accentue la résonance de la pièce. Le port, en pleine mutation, oscille entre traditions méditerranéennes et ouverture à un monde moderne. Cette ambiance intermédiaire reflète à merveille les tiraillements de Marius, partagé entre l’ancrage familial et le désir d’évasion.
Les décors, sans chercher l’illustration réaliste, évoquent un Vieux-Port vibrant, animé par ses couleurs, ses odeurs suggérées, son agitation quotidienne. On sent le poids du passé, mais aussi l’irruption d’une époque nouvelle, où les certitudes vacillent.
Ce qui frappe d’abord, c’est la manière dont la troupe fait entendre Pagnol. La langue, charnue, musicale, semble couler de source. On retrouve son humour, sa gouaille, mais aussi sa mélancolie et sa profondeur. Loin d’une lecture folklorique ou figée, le texte prend une dimension presque contemporaine : l’histoire de Marius et Fanny, au fond, n’est pas seulement marseillaise, elle est universelle. Elle raconte le dilemme éternel de la jeunesse : rester fidèle à ses racines ou suivre l’appel de l’inconnu.
La réussite du spectacle repose aussi sur une distribution homogène et généreuse, issue de la branche méridionale de la compagnie Le Grenier de Babouchka. Juliette Behar incarne une Fanny lumineuse, dont la fragilité n’exclut pas la détermination. Elle donne au personnage une profondeur rare, évitant tout pathos inutile. Face à elle, Geoffrey Pâlisse prête à Marius une intensité qui traduit avec finesse son combat intérieur : aimer Fanny, honorer son père, mais rêver d’ailleurs.
Romain Lagarde campe un César haut en couleur, mais jamais réduit à la caricature. Sa verve comique cache une véritable tendresse, qui confère au rôle une humanité bouleversante. Autour de ce trio central, Christophe Mie, Grégoire Bourbier, Teddy Melis, Solange Milhaud et enrichissent la fresque de leurs présences justes, chacun apportant relief et chaleur à ce petit monde marseillais.
Daguerre signe une mise en scène à la fois fluide et précise. Il ne surcharge pas la pièce d’effets superflus : au contraire, il laisse respirer les silences, les regards, les hésitations. Cette simplicité assumée permet de mettre en valeur la profondeur du texte. La direction d’acteurs, minutieuse, privilégie la vérité des émotions, rendant palpables les contradictions intimes de chacun.
Le spectacle, loin de verser dans la nostalgie, garde une énergie moderne. On ne vient pas « revoir » Pagnol comme on feuilleterait un vieil album de famille, mais l’entendre à nouveau, ici et maintenant.
Détail intéressant : le spectacle est surtitré en anglais chaque jeudi et vendredi soir. Une initiative rare dans ce type de production, qui permet à un public étranger de découvrir la richesse de la langue pagnolesque. Cela témoigne de la volonté de rendre accessible cette œuvre patrimoniale au plus grand nombre, sans la cantonner à une mémoire hexagonale.
Au final, ce Marius au Théâtre Le Ranelagh rappelle pourquoi Pagnol continue de nous parler. Parce qu’il raconte des histoires simples, ancrées dans un lieu et une époque, mais qui touchent à l’universel : l’amour, la famille, le départ, le renoncement. Daguerre et ses comédiens réussissent le pari de nous faire rire, sourire, et parfois même nous émouvoir, sans jamais trahir la délicatesse de l’auteur.
En sortant de la salle, on se surprend à entendre encore l’écho de ces voix, comme un parfum de Méditerranée qui nous suit un peu plus loin. Une preuve que le théâtre, lorsqu’il est joué avec sincérité, dépasse largement ses racines pour devenir un art du présent.
À voir absolument, pour redécouvrir Pagnol comme on l’aime : populaire, tendre, drôle, et terriblement humain.
Écrit par: SPEED