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Il est des spectacles qui bouleversent sans prévenir, qui s’infiltrent en vous dès les premières notes et laissent cette empreinte que seules les émotions sincères savent graver. Cher Evan Hansen, l’adaptation française du phénomène de Broadway, appartient à cette catégorie rare. Présenté au Théâtre de la Madeleine à Paris, mis en scène par Olivier Solivérès, le spectacle s’impose comme l’un des événements les plus forts de cette saison théâtrale.
À l’origine, Dear Evan Hansen est une comédie musicale américaine écrite par Steven Levenson, avec des chansons signées Benj Pasek et Justin Paul les compositeurs de La La Land et The Greatest Showman. Créé en 2015, le spectacle a raflé six Tony Awards et un Grammy, avant de devenir un phénomène générationnel. Son adaptation française, signée Hoshi pour les paroles, conserve l’essence du texte tout en l’ancrant dans notre époque et notre langue, avec une sensibilité nouvelle.
L’histoire, profondément humaine, suit , adolescent timide, mal dans sa peau, en proie à l’anxiété sociale. Un jour, un mensonge involontaire bouleverse sa vie : un camarade de lycée, Connor, se suicide, et une lettre qu’Evan s’était écrite à lui-même est retrouvée sur le corps du défunt. Malentendu tragique : la famille du garçon croit qu’Evan était son meilleur ami. Evan, incapable de démentir, se laisse entraîner dans un tourbillon de reconnaissance, d’amour et de culpabilité.
Entre solitude, faux-semblants et quête d’identité, Cher Evan Hansen explore ce besoin viscéral d’exister aux yeux des autres dans un monde où les réseaux sociaux amplifient les regards, mais effacent souvent la parole vraie.
Il fallait un interprète capable de porter ce rôle à la fois immense et fragile. Ce miracle, c’est Antoine Le Provost, 19 ans à peine, formé à la Classe Libre Comédie Musicale du Cours Florent x Théâtre Mogador. On l’avait déjà remarqué dans Gypsy à la Philharmonie de Paris aux côtés de Nathalie Dessay, mais ici, il crève littéralement la scène.
Sa voix, d’une pureté rare, épouse les moindres nuances du rôle : la maladresse, la honte, la panique, la tendresse. Il ne joue pas Evan Hansen, il est Evan Hansen. Il y a chez lui quelque chose de la sincérité brute d’un comédien comme Ben Platt (créateur du rôle à Broadway), mais avec une sensibilité française, plus intériorisée, presque pudique.
Ses silences disent autant que ses mots. Ses regards perdus, sa façon d’ouvrir les bras ou de baisser la tête, tout trahit une humanité désarmante.
Antoine Le Provost signe là une interprétation magistrale, qui propulse ce jeune artiste parmi les grands espoirs de la scène musicale française.
Olivier Solivérès, metteur en scène reconnu pour son sens du rythme et de l’émotion (Le Livre de la Jungle, Le Bossu de Notre-Dame…), réussit un pari audacieux : transposer sur une scène parisienne une œuvre culte sans en trahir la profondeur.
Son travail mêle sobriété et modernité. Les écrans, les projections et les effets lumineux traduisent habilement la présence constante du monde numérique cet écho amplifié des solitudes adolescentes.
Mais jamais la technologie ne prend le dessus sur l’humain. Les visages restent au centre, les voix s’élèvent, les corps vibrent. C’est cette tension entre la froideur des écrans et la chaleur du vivant qui rend la mise en scène si juste.
Les adaptations musicales de Hoshi sont un autre atout majeur. La chanteuse, dont les textes touchent souvent à la vulnérabilité, signe des paroles d’une grande justesse. Le français épouse la mélodie sans la trahir, et certaines chansons gagnent même une force nouvelle. “Quelqu’un viendra” (adaptation de You Will Be Found) est un moment de grâce absolue, porté par la voix d’Antoine et les chœurs du reste de la troupe.
Autour d’Antoine Le Provost, la troupe impressionne par sa cohésion.
Lou Nagy campe une Zoé à la fois forte et brisée, Antoine Galey incarne Connor avec intensité, entre colère et désespoir. Sandrine Seubille livre une performance bouleversante dans le rôle de Cynthia, la mère de Connor, oscillant entre détresse et dignité. Fanny Chelim, dans le rôle d’Alana, apporte une énergie vive et une justesse pleine de délicatesse. Kevin Barnachea, qui interprète Jared, offre un contrepoint plein d’humour et de sincérité, rendant le trio des adolescents parfaitement équilibré. Armonie Coiffard et Michel Lerousseau donnent, chacun à leur manière, une profondeur à ces parents dépassés par leurs enfants, par la douleur, par l’époque.
La direction musicale de Léa Ruhl, la scénographie de Sébastien Mizermont, les lumières de Dimitri Vassiliu et le son signé Jules Moreau participent à l’équilibre parfait d’un spectacle à la fois intime et spectaculaire.
Ce qui frappe dans Cher Evan Hansen, c’est sa sincérité.
Rien n’y est forcé. On y parle de dépression, d’isolement, de l’incompréhension entre parents et enfants mais sans pathos ni morale. Le spectacle ne cherche pas à consoler, il cherche à comprendre.
Il rappelle combien il est vital, dans une époque saturée d’images et de posts, de tendre l’oreille, d’écouter pour de vrai.
Parce que tout le monde, un jour, a été un peu Evan Hansen seul, perdu, cherchant à être vu.
Avec Cher Evan Hansen, le Théâtre de la Madeleine offre un moment de théâtre musical exceptionnel, porté par une distribution d’une justesse rare.
C’est une œuvre qui parle du présent, des jeunes, des familles, du besoin d’amour sans détour.
Et au centre, la révélation d’un comédien : Antoine Le Provost, lumineux de vérité, déjà incontournable.
Un spectacle qui bouleverse, élève et réconcilie.
Le coup de cœur Speed Radio, incontestablement.
Écrit par: SPEED