THEATRE

« Fin, fin et fin » : et si on pique-niquait pendant la fin du monde ?

today14 octobre 2025 78 5

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Demain matin, ce sera le dernier lever de soleil. Le président l’a dit, d’un ton calme, presque administratif : la fin du monde est annoncée. Plus de surlendemains, plus de promesses. La Terre a décidé de s’arrêter là.
Alors, que faire de ces dernières heures ? Faut-il courir dans tous les sens, paniquer, pleurer, ou au contraire, ne rien changer ? Pour Charlie, Bastien et Guillaume, la réponse est simple : on part pique-niquer à la plage.

Leur projet, aussi absurde qu’évident, devient le point de départ d’un spectacle d’une drôlerie inattendue et d’une tendresse désarmante : Fin, fin et fin, écrit et mis en scène par Lancelot Cherer, et présenté au Théâtre Lepic.
À travers cette aventure improbable, Cherer nous invite à regarder le monde autrement à travers la loupe déformante du dernier jour, où chaque geste prend une autre saveur, chaque mot une autre portée.

Un dernier jour plein d’humour et de lucidité

Dès les premières répliques, on sent la liberté des grands débuts et la mélancolie des fins inévitables. Charlie, Bastien et Guillaume parlent, plaisantent, rient fort, comme pour conjurer l’inévitable. Ils sont vivants, terriblement vivants, et c’est sans doute ce qui rend ce moment si bouleversant.
Dans cette comédie de la fin, l’humour n’est jamais cynique : il est salvateur. Il y a dans les dialogues une justesse rare, une manière de dire l’effroi sans le nommer, de transformer la panique en légèreté, la peur en poésie.

Et pendant qu’ils débouchent une bouteille de vin sur le sable, le monde continue de tourner un peu trop comme avant. Les flics fliquent encore, les contrôleuses contrôlent encore, les tempêtes de sauterelles s’abattent sur les villes, et personne ne semble vraiment réaliser que tout s’arrête.
C’est ici que la pièce devient mordante : même face à l’apocalypse, la société continue d’obéir, les automatismes tiennent bon, et la normalité persiste jusque dans l’absurde.

Une écriture entre absurde et humanité

Lancelot Cherer, qui signe à la fois le texte, la mise en scène et incarne l’un des trois personnages, déploie un univers singulier : à la croisée de Beckett, du burlesque contemporain et du théâtre du quotidien.
On pense parfois à Jean-Claude Carrière, à Ionesco, à ces auteurs qui savaient rire de la fin des choses tout en pointant du doigt l’absurdité du monde moderne.
Mais Cherer y ajoute une dimension intime : celle de l’amitié, des liens ténus qui unissent encore quand tout s’effondre. Entre Eugénie Thieffry, Baptiste Dupuy (ou Enzo Monchauzou, selon les soirs) et Lancelot Cherer, la complicité est palpable. Leurs corps se répondent, leurs silences dialoguent, et leurs rires deviennent le fil rouge du spectacle.

Le rire comme dernier refuge

Le pari de Fin, fin et fin n’est pas seulement d’aborder la fin du monde : c’est de le faire avec légèreté, avec un humour tendre qui refuse la panique.
Le spectateur rit, souvent à contretemps, parfois avec une pointe de tristesse. Car derrière les situations cocasses, le texte révèle une angoisse sourde : celle de ne pas savoir quoi faire de notre temps.
Et si, au fond, nous étions déjà en train de vivre nos dernières heures sans nous en rendre compte ?
Si notre monde, saturé d’informations, d’alertes et d’habitudes, était déjà en train de s’éteindre doucement, sans tambour ni trompette ?

Une mise en scène épurée, presque fragile

La scénographie, volontairement dépouillée, laisse toute la place aux comédiens. Quelques accessoires suffisent à faire exister la plage, le ciel, le vent et la fin du monde. Tout se joue dans la parole, dans les regards, dans ces petits gestes qui disent plus que de grands discours.
Cherer privilégie la sincérité à l’effet, la simplicité à la démonstration. Le spectateur devient complice, presque témoin d’un moment suspendu où trois amis décident simplement de vivre, malgré tout.

Une fable douce pour temps troublés

En sortant du Théâtre Lepic, on ne sait pas si le monde va vraiment s’effondrer demain matin. Mais on repart avec une certitude : tant qu’il reste des amis, des rires, des silences partagés, la fin n’est jamais tout à fait la fin.

Fin, fin et fin est une ode à l’instant présent, une bulle d’humanité dans le vacarme du monde, un spectacle à la fois drôle, tendre et profondément lucide.
Et si, nous aussi, on allait pique-niquer avant la fin du monde ?

Écrit par: SPEED

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