AVIGNON 2025

Les fragilités et les handicaps à l’affiche du festival Off d’Avignon 3/3

today18 juillet 2025 89 4

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Comment se repérer parmi les plus de 1 700 spectacles dans tous les styles à l’affiche du festival Off d’Avignon ? Petite sélection autour du thème des handicaps traité avec sérieux ou humour, pour interroger et faire changer le regard. Troisième volet.

 

Émouvoir et interroger

   « J’ai tout compris, vous êtes tous déguisés. Tambours et tambourins » avait lancé Marianne, jeune femme trisomique, sœur du comédien et metteur en scène de théâtre, Jean-Louis Hourdin, qui a joué sous la direction de Peter Brook, Jean-Pierre Vincent entre autres. Il a choisi de remonter sur scène pour faire revivre la mémoire de sa sœur dans Le malheur innocent. Pour Marianne, parlerie grave et joyeuse, titre tiré d’un livre de leur père, Georges Hourdin, fondateur de journaux, présent grâce à des archives de l’INA. Le comédien se remémore des souvenirs de sa soeur, photos familiales et archives d’époque à l’appui, son éducation, sa place dans la famille, sa soif de normalité. Une jeune femme de caractère, qui aime danser, écrire des poèmes forts que l’on découvre par la voix de son frère. Un moment personnel et fragile.

 

Laissez-moi danser est doublement le cri de Nadia Ghadanfar parce qu’elle donne la parole à desfemmes du monde arabe, dont on entend les voix enregistrées, « des confidences étonnantes et souvent douloureuses, des vécus emprunts de domination. Une domination qui pose ses interdictions, qui empêche la liberté : celle de sortir, de bouger, de danser… » Et parce « qu’une maladie lui a soufflé le rapport à l’équilibre. » La comédienne, d’origine syro-allemande, arrive pédalant sur un vélo à trois roues, avant de se lever en s’appuyant sur des barres, inspirées du déambulateur, qui vont lui permettre de se déplacer, de rester debout, et au décor de surgir.

 

La délicate question de l’accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap, considéré comme de la prostitution en France, est le sujet de Toutes les autres. Clémence, une femme en fauteuil roulant depuis un accident, vivant recluse fait appel à Antoine, pour ce service codifié et tarifé. Réticente au début, elle se laisse apprivoiser mais les choses ne se passent pas comme prévu et ils tombent amoureux… Questionnement et limites sont présentés avec justesse.

 

Sans oublier de rire / Et toujours faire réfléchir et rire

« Quand tu as un handicap, tu passes ton temps à t’entendre dire ce que tu peux ou ne peux pas faire. Au lieu de laisser les autres tracer ma route à ma place, je préfère suivre ma voie » dit Pierre Divertito, coiffé d’un chapeau rose pour raconter son histoire dans Ma voie. Et il n’aura de cesse de le contredire comme champion de France en natation handisport ou dans d’autres sports en milieu valide, dans l’emploi et sur scène !

Et si c’était elle ? Frank est désinvolte et superficiel jusqu’au jour où il croise le chemin de Lélé, pétillante et… handicapée. Si la formule a déjà fait recette, il est toujours bon de se rappeler que les personnes handicapées peuvent nous transformer. La pièce poursuit le succès rencontré l’an dernier et a été finaliste Coups de cœur de la presse 2024.

 

Le bouleversement qu’apporte la maladie d’Alzheimer est au cœur de plusieurs spectacles…

Affiche le Voyage d'hiver

Celui de Romain Gneouchev, Une chose vraie, « une sorte de faux documentaire », est né de son amitié avec Ysanis Padonou, comédienne rencontrée à l’école du Théâtre national de Strasbourg, chez qui a été diagnostiquée une forme précoce et héréditaire d’une maladie neurodégénérative. Assise sur une chaise au centre de la scène toute blanche, des objets symboliques disposés autour d’elle, munie d’une oreillette lui restituant le texte, Ysanis nous raconte son histoire, entre fiction et réel. « Je n’ai pas envie d’être victime de cette situation, mais actrice tant que je le pourrai », et elle l’est pleinement, avec une extraordinaire présence, douce et forte à la fois.

La question des aidants est abordée aussi par Christine Pedditzi dans Danser encore. Comment garder le lien avec sa mère dont la mémoire l’éloigne, sans occulter les difficultés : « Et si malgré l’oubli il restait du beau ? » Sincère et touchant.

« Accompagner quelqu’un vers la mort, c’est rendre hommage à la vie.  C’est respecter la vie d’autrui. Dire qu’elle a de l’importance, qu’elle est précieuse. Nous allons raconter la fin de la vie, décrire les émotions qu’elle procure à ceux qui en font l’expérience et à ceux qui la partage. La douleur que peut susciter cet accompagnement mais aussi la sérénité qu’il apporte. Pour les patients, les soignants, les aidants… » Dans le très beau Le voyage d’hiver écrit par Denis Lachaud, se dessine avec délicatesse l’évolution des membres de la famille qui accompagnent leur mari et père touché par la maladie, ce qui n’a pas été dit et peut se dire autrement, ce qui surgit, console et rapproche… Un magnifique et profond hymne à la vie. Coup de cœur !

Et bien d’autres spectacles

Comme tu me vois – récits d’une grossophobie ordinaire, un seul en scène dans lequel Grégori Miège s’adresse au public à la première personne, parle de son corps, des regards blessants, des remarques violentes. Puissant et nécessaire.

Autre spectacle d’une psychanalyste et actrice sur notre rapport à la nourriture et au corps, à la dépendance construit à partir d’entretiens avec des personnes en surpoids : Je me petit-suicide au chocolat.

 

Céline Caussimon, comédienne, auteure et chanteuse, anime régulièrement des ateliers d’écriture. Elle nous entraine avec elle derrière les barreaux dans Je n’ai pas lu Foucault, chefs d’œuvre en prison, le fruit d’une vingtaine de séances d’écriture auprès d’hommes et de femmes incarcérés. Elle leur propose de regarder des tableaux de Van Gogh, Rembrandt, Basquiat, Hopper, La Tour…  et d’écrire. Leurs mots sont forts, percutants, justes, ils regardent et ont une approche neuve, directe. La comédienne joue tous les rôles détenus, surveillants, coordinatrice culturelle et le sien, avec aisance dans une belle mise en scène de Sophie Gubri. Elle partage ses souvenirs et impressions, et les œuvres brutes des prisonniers. Un moment rare.

 

 

Écrit par: Marie-Claire Brown

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