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SPEED RADIO Là où les artistes prennent la parole
today3 juillet 2025 89 5
Avignon ne manque jamais d’histoires fortes. Mais certaines vous percutent avec une intensité singulière. Mille Cent Jours en fait partie. Derrière ce titre énigmatique, qui sonne presque comme un compte à rebours inversé, se cache l’itinéraire fulgurant d’un homme fauché par la vie… et décidé à ne pas se laisser abattre. Une pièce lumineuse, portée par un récit authentique, une écriture ciselée et une interprétation éblouissante.
L’histoire est celle d’Alexandre. Un comédien percuté par un chauffard alors qu’il se rend à une répétition. Coma. Réanimation. Une jambe broyée. La vie suspendue à un fil. Tout pourrait basculer vers le drame, le pathos, les larmes faciles. Et pourtant, c’est tout l’inverse qui se joue sous nos yeux.
Depuis son lit d’hôpital – ou plutôt depuis l’intérieur de sa conscience embrumée par la morphine – Alexandre nous raconte. Il observe, hallucine, rêve, délire. Il nous présente ses visiteurs : Sophie, l’amour de sa vie, Paul, son frère pot-de-colle, Sonia, l’infirmière dépassée, Arbakian, le chirurgien un peu fou, et même… Batavia, une salade bavarde ! Ce dispositif improbable fonctionne à merveille, et surtout : on rit. Beaucoup. D’un rire franc, parfois absurde, souvent salvateur.
Ce théâtre-là, loin de nier la douleur, la traverse avec panache et tendresse. L’humour devient bouée de sauvetage, force de résilience, outil de reconstruction.
Derrière la pièce, il y a une histoire vraie. Une promesse tenue plus de trente ans après avoir été faite.
C’est au début des années 90 que Stéphane Titeca et Régis Romele se rencontrent aux cours Cochet. Deux jeunes comédiens, pleins de rêves et d’enthousiasme. Ils se jurent de « faire un projet ensemble, un jour ». Et puis la vie passe, les carrières se construisent, les chemins se séparent. Jusqu’à ce qu’un soir, dans les loges de l’Odéon, Stéphane découvre sur les jambes de Régis les cicatrices d’un passé douloureux. Régis lui raconte son accident. Et Stéphane lui répond : « Il faut en faire quelque chose. »
Mais pas une reconstitution froide ou un témoignage univoque. Titeca impose une exigence : créer du théâtre. Inventer un monde à partir du réel. Prendre un angle décalé. Raconter l’histoire d’un homme qui, dans le coma, décide d’écrire la pièce de sa vie.
Ce postulat de départ est à la fois audacieux et bouleversant. Il donne à Mille Cent Jours une liberté de ton et une profondeur rare.
La mise en scène de Stéphane Titeca frappe par son intelligence. À la fois épurée et foisonnante, elle joue sur les ruptures de rythme, les bascules de ton, les clins d’œil méta-théâtraux. On passe de scènes poignantes à des moments de pure fantaisie, sans jamais perdre le fil ni l’émotion.
La scénographie, sobre mais évocatrice, joue la carte de l’imaginaire. Elle nous fait naviguer entre les couloirs d’un hôpital et les paysages mentaux d’un homme entre la vie et la mort. Tout semble flotter, comme suspendu, et pourtant tout est solidement ancré dans l’expérience humaine.
Le jeu des comédiens est à saluer sans réserve. Régis Romele, bouleversant dans son propre rôle, parvient à conjuguer gravité, humour, autodérision et tendresse. Il incarne un Alexandre lucide malgré le coma, vivant malgré l’inconscience, drôle malgré la souffrance. À ses côtés, Laetitia Richard (Sophie) et Agathe Sanchez (Sonia) apportent une belle justesse, oscillant entre émotion sincère et comédie légère. Le trio fonctionne à merveille, servi par un texte qui n’épargne ni les moments de vertige, ni les traits d’humour acérés.
Avec Mille Cent Jours, Stéphane Titeca poursuit son œuvre théâtrale exigeante et populaire, dans la lignée du Choix des âmes ou de Bulle. Ici encore, il réussit à conjuguer accessibilité du propos et complexité de l’écriture. Il touche à quelque chose d’universel : la peur de perdre, le désir de renaître, l’amour comme point d’ancrage.
Ce qui pourrait être une chronique hospitalière devient une ode à la vie, à l’art, à l’amitié. Et surtout, une leçon de théâtre. Car c’est bien cela que cette pièce incarne : la capacité unique du théâtre à dire l’indicible, à faire rire là où ça fait mal, à sublimer le réel sans le trahir.
Mille Cent Jours est sans doute l’une des plus belles surprises de ce Festival Off d’Avignon 2025. Un spectacle qui fait du bien, qui touche, qui éclaire, qui inspire. À travers un texte fin, une mise en scène maîtrisée et une interprétation d’une rare sincérité, cette pièce nous rappelle que même dans l’obscurité du coma, une voix peut surgir… et écrire un chef-d’œuvre.
📌 À voir, à vivre, à partager. Mille cent fois, s’il le faut.
🎭 Mille Cent Jours
🕐 Tous les jours à 13h15 (relâche le 15 juillet)
📍 Théâtre des Gémeaux – Festival Off Avignon 2025
✍🏻 Une pièce de Stéphane Titeca, inspirée de la véritable histoire de Régis Romele
Écrit par: SPEED