THEATRE

« Numéro Deux » : l’autre histoire de Harry Potter, un bijou de théâtre sur les désillusions de l’enfance

today22 mars 2025 36 5

Arrière-plan
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Paris, Théâtre Tristan Bernard. Un soir ordinaire dans une salle feutrée du 8e arrondissement. Mais sur scène, c’est une histoire extraordinaire qui prend vie. Celle que personne n’a racontée jusque-là. Celle du garçon qui aurait pu être Harry Potter. L’enfant presque élu, finaliste d’un destin mondial, avant que la caméra ne se tourne une dernière fois… vers un autre.

« Numéro Deux », adapté du roman éponyme de David Foenkinos, met en lumière un anti-héros bouleversant. Pas celui qui triomphe, mais celui qui reste sur le quai, lorsque le train de la gloire part sans lui. Martin Hill, jeune garçon anglais, est arrivé jusqu’aux tout derniers essais pour incarner le plus célèbre sorcier de la littérature jeunesse. Il était bon. Très bon. Presque choisi. Presque célèbre. Presque Harry Potter.

Et puis, non.

Une blessure invisible, universelle

Il y a dans ce récit aussi improbable qu’authentique une matière dramatique d’une profondeur rare. Car l’échec, ici, n’est pas spectaculaire. Il n’est pas celui d’un adultère, d’un drame familial, d’un accident ou d’un crime. Il est invisible, intime, intime au point d’être silencieux. Une glissade qui n’a pas fait de bruit. Martin n’a pas « raté » sa vie. Mais il a dû apprendre à vivre avec cette frustration inavouable, ce « presque » qui s’installe comme un fantôme dans chaque recoin de son existence.

Foenkinos, avec sa plume fine et pudique, a su tirer de ce point de départ un roman introspectif, drôle, cruel parfois, mais toujours lumineux. Et sur scène, l’adaptation signée Léonard Prain, mise en scène avec justesse par Sophie Accard, redonne souffle et corps à cette histoire de reconstruction.

Une mise en scène fluide et inventive

La scène est fluide, vivante, construite comme une suite de flashbacks, de pensées, de dialogues intérieurs. Sophie Accard joue avec les ruptures de ton et les niveaux de narration. La pièce navigue entre le rire et le trouble, entre la reconstitution du casting d’Harry Potter et les longues plages silencieuses d’un garçon qui grandit dans l’ombre d’un autre.

Loin d’un théâtre figé, le spectacle fait la part belle aux jeux de lumière, aux déplacements chorégraphiés, aux personnages secondaires qui apparaissent et disparaissent comme dans un rêve. La nostalgie de l’enfance y côtoie la lucidité des années perdues.

Axel Auriant, une révélation

Au cœur de cette partition complexe, Axel Auriant brille de mille nuances. Il incarne Martin Hill avec une sensibilité désarmante. Jamais dans l’excès, toujours dans la justesse. Il est ce jeune homme maladroit, touchant, qui tente de comprendre ce qui lui est arrivé. Il est à la fois l’enfant qui espérait, l’adolescent qui doute, l’adulte qui cherche encore à guérir.

Ses partenaires de scène – Pierre Benezit, Serge da Silva et Valentine Revel-Mouroz – l’accompagnent avec talent dans cette traversée de la mémoire. Ils jouent plusieurs rôles chacun, donnant à la pièce une dimension chorale et poétique.

Une réflexion douce-amère sur la réussite

Au fond, « Numéro Deux » pose une question universelle, presque philosophique : faut-il réussir pour être heureux ? Et si l’échec – surtout quand il arrive si tôt – pouvait devenir une force, une clé pour se réinventer ?

La pièce n’apporte pas de réponses toutes faites. Elle invite à ressentir, à se souvenir de ses propres blessures de jeunesse. Elle rappelle que l’échec n’est pas une fin, mais parfois un commencement. Que ce n’est pas la lumière des projecteurs qui éclaire une vie, mais la façon dont on apprend à vivre dans l’ombre.

Une œuvre sensible, drôle, nécessaire

« Numéro Deux » n’est pas une pièce mélancolique. Elle est vivante, rythmée, drôle par moments, bouleversante souvent. Elle touche juste, parce qu’elle parle de ce qui nous traverse tous : les rêves d’enfants, les injustices silencieuses, et ce besoin profond de trouver sa place, même loin de celle qu’on avait imaginée.

En ressortant du Théâtre Tristan Bernard, on ne peut s’empêcher de penser à nos propres « numéros deux », à ces chemins que nous n’avons pas pris, ces portes qui se sont refermées… et à ce qu’il en est resté.

Un grand moment de théâtre contemporain, porté par un texte puissant, une mise en scène délicate, et des comédiens au sommet. Une pépite à ne pas rater.

🎭 Numéro Deux
📍 Théâtre Tristan Bernard, Paris
🕒 Du mardi au samedi à 21h
✍️ D’après le roman de David Foenkinos
🎟 Adaptation : Léonard Prain
🎬 Mise en scène : Sophie Accard
👤 Avec : Axel Auriant, Pierre Benezit, Serge da Silva, Valentine Revel-Mouroz

Écrit par: SPEED

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