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SPEED RADIO La radio qui te dynamise
Que d’espoir ! est un joyau scénique, une création bouleversante et jubilatoire qui transcende les genres. En s’emparant des cabarets du dramaturge israélien Hanokh Levin, Valérie Lesort signe l’un de ses spectacles les plus puissants : un cabaret existentiel, grotesque et poétique, qui réinvente le théâtre comme un espace de liberté totale.
Un cabaret de l’âme signé Hanokh Levin
Figure majeure du théâtre israélien, Hanokh Levin (1943–1999) laisse derrière lui une œuvre féroce, drôle et désespérée. S’il est surtout connu en France pour ses grandes pièces satiriques (Kroum l’Ectoplasme, Yaacobi et Leidental, Requiem…), son écriture pour le cabaret composée de sketches courts, de dialogues absurdes, de saynètes grinçantes et de chansons philosophiques révèle une autre facette de son génie : celle d’un observateur impitoyable de la condition humaine, capable de faire surgir la métaphysique au détour d’une blague sur la constipation ou l’infidélité.
C’est dans cette veine que s’inscrit Que d’espoir !, spectacle construit à partir de textes extraits de ses cabarets. Le titre lui-même, ironique et glaçant, sonne comme un contrepoint aux misères existentielles qui vont se dérouler sous nos yeux.
Valérie Lesort, plasticienne du désespoir joyeux
Pour mettre en scène ce cabaret de l’absurde, il fallait une artiste capable de jongler avec le grotesque, la cruauté et la poésie. Valérie Lesort relève le défi avec une audace inouïe. Récompensée pour ses précédents spectacles (Le Voyage de Gulliver, Vingt mille lieues sous les mers), elle poursuit ici son exploration d’un théâtre total, où chaque élément décor, lumière, costume, musique, corps devient matière vivante, malléable, signifiante.
Le résultat est une explosion visuelle et sensorielle. Dans une scénographie en constante transformation, où les personnages se métamorphosent à vue grâce aux costumes ingénieux de Carole Allemand, une galerie de figures absurdes, pitoyables et magnifiques défile sous nos yeux : couples minables, rêveurs solitaires, orateurs ratés, époux exténués, enfants vieillissants… Tous portent en eux une forme d’humanité déchirante, que la mise en scène magnifie sans jamais les ridiculiser.
Un casting éblouissant au service d’un théâtre de la vérité
Ils sont quatre sur scène, mais ils en incarnent cent. Céline Milliat-Baumgartner, Hugo Bardin (connu du grand public sous les traits de Paloma, gagnant.e de Drag Race France), David Migeot et Charly Voodoo (créature flamboyante du Cabaret Madame Arthur) composent un quatuor d’acteurs caméléons, capables de basculer en une fraction de seconde du rire au désespoir, du grotesque à la grâce.
Leur performance est remarquable, tant dans la précision du jeu que dans l’engagement physique. Charly Voodoo, en particulier, livre une prestation mémorable en chantant en live les chansons de Levin, subtilement réarrangées pour l’occasion. Sa présence magnétique, entre cabaret queer et tragédie antique, donne au spectacle une dimension musicale envoûtante.
Rire de tout, pleurer de soi
À travers l’humour noir de Levin, Que d’espoir ! explore les grandes peurs humaines : la solitude, la mort, le vieillissement, la vacuité du quotidien, l’insignifiance de nos ambitions. Mais toujours avec cette étrange tendresse qui affleure au cœur du désespoir. Le rire surgit souvent, mais il n’est jamais confortable. Il est grinçant, déplacé, libérateur. On rit d’eux, et puis on se rend compte qu’on rit de nous-mêmes.
Le spectacle devient alors une sorte de miroir déformant, cruel mais nécessaire. Il rappelle à chacun que le théâtre est d’abord un lieu où l’on ose regarder en face ce qu’on préfère fuir.
Un chef-d’œuvre de liberté théâtrale
Ce qui frappe, au-delà de l’intelligence de la mise en scène et de la virtuosité du jeu, c’est la sensation de liberté qui irrigue le spectacle. Liberté de ton, liberté de forme, liberté de rythme. Valérie Lesort ne cherche jamais à rassurer le spectateur, ni à lui imposer une lecture. Elle propose un théâtre vivant, étrange, sans morale, où l’on peut tour à tour rire, être mal à l’aise, ému aux larmes.
En cela, Que d’espoir ! s’inscrit dans la lignée des grands cabarets d’art et de pensée. Il convoque Brecht, Beckett, les Monty Python, mais aussi les cabarets berlinois, le music-hall, le burlesque et le théâtre de marionnettes. Il brouille les frontières entre les genres, pour mieux toucher à l’universel.
Conclusion : un moment de théâtre rare
Que d’espoir ! est sans conteste l’un des spectacles les plus forts, les plus originaux et les plus nécessaires de cette saison théâtrale. Un uppercut existentiel emballé dans des paillettes, un cri d’humanité travesti en numéro de cabaret, une fresque du dérisoire d’où jaillit, paradoxalement, une forme d’espérance.
Car oui, malgré tout malgré la peur, malgré le vide, malgré l’absurde il y a quelque chose qui résiste, quelque chose qui vibre : l’art, le jeu, le rire, le chant, la scène. Ce miracle du théâtre vivant que Valérie Lesort fait ici briller de tout son éclat.
À voir absolument au Théâtre de l’Atelier, à Paris. Et à revoir, même. Car ce genre de spectacle ne court pas les rues.
Écrit par: SPEED