Sarina, la lumière dans le noir

Et si, pour une fois, on commençait par autre chose ? Fermez les yeux. Une minute. Plongez dans le silence, dans l’obscurité. Ressentez ce que ça change, ou ce que ça révèle. C’est l’expérience à laquelle Sarina invite son public dès les premières secondes de Lève-toi, un spectacle musical hybride et profondément personnel. Vue pour sa dernière à l’Essaïon, cette jeune artiste belge, aveugle depuis ses 16 ans, livre un moment suspendu entre autobiographie, concert hommage et manifeste engagé. Une œuvre rare, sensible, et inclassable.

Une mise à nu sans pathos

Sur scène, un piano, une guitare, quelques lumières. Pas de grand décor. Sarina n’a besoin de rien d’autre que sa voix claire, souple, intense pour captiver. Elle ne cherche ni à attendrir ni à impressionner par son handicap, mais à questionner les représentations qu’on s’en fait. Le spectacle commence dans le noir total : un pari audacieux qui devient vite une évidence. Le public, plongé dans la même expérience sensorielle que celle de l’artiste, devient complice, témoin, parfois même miroir.

La narration alterne entre confidences, humour tendre et réflexions plus profondes sur la norme, la marginalité, et les petites injonctions sociales qui enferment. Sarina parle peu du handicap en tant que tel, mais beaucoup de la peur d’être réduite à celui-ci. Elle interroge, subtilement, notre tendance à catégoriser les gens. Et le fait sans jamais tomber dans le didactique ni l’apitoiement.

Un voyage musical entre hommage et identité

Lève-toi est aussi un hommage vibrant à celles qui ont brisé les codes avant elle. De Nina Simone à Billie Eilish, en passant par Joséphine Baker ou Fairouz, Sarina interprète (et réinterprète) des chansons iconiques, dans un patchwork musical qui mêle pop, lyrique, arabe, espagnol, xhosa, et même une touche de musique classique. Loin d’être un simple medley, chaque reprise est mise en perspective avec son propre parcours : un combat pour exister pleinement, en tant que femme, artiste, et citoyenne.

Ces moments chantés sont les plus puissants du spectacle. D’une justesse bouleversante, Sarina passe d’un registre à l’autre avec une aisance déconcertante. Sa voix, tantôt chaude et feutrée, tantôt éclatante, fait frissonner. Au piano comme à la guitare, elle déploie une palette musicale d’une grande finesse, toujours au service du propos.

Une écriture simple, mais incarnée

Si l’écriture du texte n’atteint pas toujours la sophistication poétique de certains solos chantés, elle frappe par sa sincérité. L’émotion est là, brute, à fleur de peau. Les anecdotes personnelles, historiques ou sociales s’enchaînent avec un naturel désarmant. On rit souvent, on est ému, parfois même sidéré par la maturité de la réflexion. Le spectacle ose la lenteur, les silences, les respirations. Il ne cherche pas l’efficacité à tout prix, mais l’authenticité. Et cela fonctionne.

Une interprète complète et une vision artistique forte

Sarina n’est pas seulement interprète, elle est aussi autrice, compositrice, musicienne, et metteuse en scène de sa propre histoire. Et c’est précisément cette maîtrise de l’ensemble du projet qui donne à Lève-toi sa cohérence et sa profondeur. Formée en psychologie, en musicologie et en chant lyrique, l’artiste déploie ici tout son bagage artistique et intellectuel dans un spectacle à la fois intime et universel.

À noter : son engagement ne se limite pas à la scène. Lauréate du prix Wyde Women in Culture en 2022, elle milite activement pour les droits des femmes et la paix au Moyen-Orient, avec une constance et une discrétion exemplaires.

Un spectacle qui fait du bien

On sort de Lève-toi le cœur léger et les idées en mouvement. Ce n’est pas qu’un bon spectacle. C’est une rencontre. Un souffle d’air, un élan de joie, une invitation à se lever soi-même, au sens propre comme au figuré.

Sans effets spectaculaires ni artifices, Sarina crée un lien rare avec son public. Elle donne envie de chanter, de danser, de réfléchir, mais surtout d’agir. Son message est limpide : la beauté ne réside pas dans la perfection, mais dans la vérité d’un geste, d’une voix, d’un regard invisible mais si présent.

En résumé

Ce qu’on retient :
– Une interprète d’une justesse et d’une générosité rares
– Une direction artistique audacieuse et profondément incarnée
– Un message fort sur l’émancipation, l’identité et la puissance de la musique

À voir absolument, que l’on soit mélomane, passionné de théâtre ou simplement humain.