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Pour ses cent ans, le Théâtre de la Michodière s’offre un cadeau à son image : populaire, drôle, et profondément attaché à la tradition du théâtre de boulevard tout en cherchant à la moderniser. L’Expérience Théâtrale, la nouvelle comédie signée Laurent Ruquier, met en scène deux comédiens que tout oppose en apparence : François Berléand, monument du théâtre et du cinéma français, et Max Boublil, figure de la nouvelle génération humoristique. Sous la direction d’Anne Bouvier, le duo se prête à un jeu de miroirs réjouissant qui interroge, avec légèreté, la relation entre acteurs et spectateurs.
Dès les premières minutes, le spectateur comprend qu’il n’assistera pas à une simple comédie. Ruquier propose une mise en abyme : la pièce parle du théâtre, de ses coulisses, de ses rituels, de ses grandeurs comme de ses petites misères. Tout y passe : les superstitions des comédiens (ne jamais siffler sur scène, éviter de prononcer certains mots), les rivalités générationnelles, les petites vanités et les grandes peurs.
Mais là où certains auteurs auraient pu céder au didactisme ou au règlement de comptes, Ruquier choisit l’humour et la tendresse. Le théâtre est ici un terrain de jeu, un prétexte à rire de soi et des autres, une machine à fabriquer des instants de complicité.
Le cœur du spectacle réside dans l’opposition et la complémentarité de ses deux interprètes. François Berléand campe un acteur chevronné, sûr de ses codes, un brin désabusé mais toujours précis dans son art. Chaque intonation, chaque silence est un rappel de son immense expérience scénique.
Face à lui, Max Boublil joue l’éternel dilettante, celui qui regarde le théâtre avec un œil candide, parfois irrévérencieux, mais finalement séduit par la magie de la scène. Sa désinvolture, son humour décalé, sa capacité à casser les codes séduisent une partie du public qui se reconnaît en lui. Leur duo fonctionne à merveille : un affrontement tendre, ponctué de piques savoureuses, qui devient vite une complicité contagieuse.
Ce que propose Ruquier va au-delà du rire. À travers anecdotes et dialogues, il rend hommage à ce qui fait la singularité du théâtre : son immédiateté, sa fragilité, son intensité. Dans une époque dominée par le numérique et la consommation rapide des contenus, L’Expérience Théâtrale rappelle combien le théâtre reste une expérience unique, irréductible.
Le rire devient alors un outil de communion. Les spectateurs se sentent autant observés qu’observateurs, pris dans une sorte de miroir où leurs propres habitudes arriver en retard, feuilleter le programme, tousser à un mauvais moment deviennent matière à comédie.
Anne Bouvier orchestre le tout avec élégance. Sans jamais alourdir le propos, elle guide les comédiens dans une partition qui joue sur les ruptures de rythme et les silences complices. Lou Monnet, à l’assistanat, apporte une précision supplémentaire qui se ressent dans les enchaînements.
La scénographie, volontairement dépouillée, laisse la part belle au jeu des acteurs. Car c’est bien là le cœur de l’« expérience » : un théâtre qui se passe de fioritures pour mieux faire entendre ce qu’il dit de lui-même.
Laurent Ruquier n’en est pas à sa première incursion dans le théâtre, mais L’Expérience Théâtrale marque une étape particulière. L’auteur, que l’on connaît davantage pour ses émissions et son goût du verbe acéré, signe ici une œuvre à la fois drôle et respectueuse, légère et profonde. En rendant hommage au centenaire de la Michodière, il inscrit sa pièce dans une tradition bien française : celle d’un théâtre accessible, joyeux, mais jamais dénué de réflexion.
L’Expérience Théâtrale n’est pas seulement une comédie de plus dans une saison théâtrale chargée. C’est un manifeste joyeux sur ce que signifie « faire théâtre » : jouer, se tromper, rire, partager. François Berléand et Max Boublil, chacun dans leur registre, offrent une partition savoureuse où se confrontent l’expérience et la jeunesse, le sérieux et l’ironie. Le public, complice, en ressort avec le sourire… et une envie irrésistible de revenir s’asseoir dans une salle obscure.
Écrit par: SPEED